28 août 2011

Jean-Étienne ESQUIROL

Le père de l’asile psychiatrique…


Jean-Étienne Dominique Esquirol naît le 3 février 1772, à Toulouse, dans la France de la fin de l’Ancien Régime. Son père est administrateur de l’hôpital de La Grave où exerce notamment Alexis Larrey, oncle du célèbre chirurgien napoléonien.

Il se destine au sacerdoce et étudie chez les Doctrinaires du Collège de l’Esquile à Toulouse, puis au Séminaire de Saint-Sulpice à Issy mais la Révolution le renvoie dans sa famille. Il débute alors des études de médecine en 1791 à Toulouse. Il est nommé Officier de santé à Narbonne, puis à Montpellier. Puis, il part pour Paris en 1798. Il est notamment l’élève de Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) à hôpital de la Charité et de Philippe-Jean Pelletan (1747-1829) à l’Hôtel-Dieu. Il croise surtout le chemin de Philippe Pinel (1745-1826) et racontera : « ce jour décidera de mon existence ». Pinel, médecin à Bicêtre, puis à la Salpetrière, est alors au faîte de sa gloire et restera pour la postérité comme celui qui a libéré de leurs chaînes les « aliénés » détenus à Bicêtre. Ce « fondateur de la psychiatrie moderne » remarque l’ardeur au travail et les qualités intellectuelles d’Esquirol et va en faire son disciple. En effet, l’élève suit les pas du maître et, en 1805, soutient sa thèse à propos « Des passions, considérées comme cause, symptôme et moyen de la maladie mentale ». Elle est le point de départ d’une carrière impressionnante qui sera un tournant décisif pour les malades mentaux…


Sur le plan scientifique, il consacre sa vie à faire rayonner et prolonger l’œuvre de son maître. Ainsi, il poursuit son travail nosographique et individualise notamment les différentes formes de maladie mentale : la manie, la mélancolie, la « lypémanie », une espèce de délire triste dont il invente la dénomination, et l’idiotie, une insuffisance de développement mental congénitale qu’il distingue de la démence acquise. Il établit la distinction entre les « hallucinations » et les « illusions ». Il suggère d’utiliser les passions humaines comme agent curatif des maladies mentales. Tous ses travaux font l’objet d’une multitude de publications qu’il collige, en 1838, dans son ouvrage principal : « Des maladies mentales considérées sous le rapport médical hygiénique et médico-légal » qui paraît en librairie en deux volumes richement illustrés. Cette contribution majeure à la psychiatrie a un énorme succès et fera l’objet d’une traduction en allemand, anglais et italien. Par ailleurs, Esquirol ouvre en 1817 le premier cours de clinique des maladies mentales qui a un grand succès. En 1829, il participe à la fondation des Annales d’hygiène publique et de médecine légale.


Sur le plan administratif, il fonde en 1802 une maison de santé pour malades mentaux rue Buffon à Paris. C’est le premier établissement psychiatrique privé français dirigé par un médecin et il va connaître une grande notoriété. Par ailleurs, Esquirol est nommé en 1811 à la Salpêtrière où il succèdera à son maître Pinel mais, surtout, en 1825, il prend la succession d’Antoine-Athanase Royer-Collard (1768-1825) au poste de médecin-chef de la Maison Royale d'aliénés située près de Paris sur la rive droite de la Marne. Cet hospice de Charenton-Saint-Maurice, fondé en 1641, était initialement tenu par les Frères de la Charité de l'ordre de Saint Jean de Dieu. Temporairement fermé pendant la Révolution, au nom de la Loi de suppression des ordres religieux du 18 avril 1792, il est transformé en prison d'état, puis rouvert par le Directoire le 15 juin 1797. A cette époque, le chirurgien Jacques Tenon (1724-1816) souligne dans son « Mémoire sur les hôpitaux de Paris » que les « aliénés » sont enfermés avec « des imbéciles, des épileptiques, des paralytiques, des aveugles, des estropiés, des teigneuses, des incurables » mais aussi des voyous, des prostituées, des alcooliques et autres détenus « pervers » (le marquis de Sade y est décédé en 1814…). Outre les quolibets et sévices corporels de leurs co-détenus, ils subissent diverses brimades à visée thérapeutique ou punitive comme la douche froide, le « bain-surprise » (à Charenton, les malades étaient jetés complètement ficelés dans une piscine d’eau froide…), les coups de fouet, les gilets de force ou les chaînes pour les agités, voire le cachot pour les récalcitrants. Esquirol découvre ainsi le sort d’un aliéné anglais entravé depuis neuf ans… et constate qu’il n’y a pas de chauffage « parce que quelques maniaques ayant résisté au froid, on s’est hâté de conclure que tous les aliénés n’avaient pas besoin de se chauffer »… De fait, certains établissements sont de véritables « étables humaines » où les fous sont enchaînés dans l’obscurité, vêtus de haillons, baignant dans leur fange et dans la pire des promiscuités. Dans son « Histoire de la révolution française », Jules Michelet (1798-1874) s’apitoiera sur le sort de ces malades qui « enviaient le bagne comme un paradis ». Du reste, à son arrivée à Charenton, Esquirol constate qu’il est « impossible d’imaginer un établissement si lamentable ». Cependant, il ne se résigne pas et sa détermination ouvre une période d’intense activité et de bouleversement. En effet, il décide de transformer ce centre, souhaitant qu’il devienne « un instrument de guérison » et non plus seulement un lieu de détention. En cela, il est le précurseur de ce qu’on appellera la « thérapie institutionnelle ». En l’espace de quinze ans, il va convertir cet hospice d’un autre âge en un hôpital dédié au traitement des malades mentaux. Si Pinel a libéré les aliénés, Esquirol améliore leur sort. Il veut les soustraire aux stress de la faim et de la soif, des mauvaises odeurs, du froid, des serrures qui grincent, des rats, de l’enfermement, etc... Il veut qu’ils ne soient plus entre les mains de gardiens « vulgaires, brutaux et paresseux ». En bref, sous sa houlette impérieuse et autoritaire, cet hospice va devenir une structure de soins spécifique, un lieu de vie adapté, visant à répondre au double objectif de soins et de protection sociale des malades. Premier du genre, cet « asile » est adapté jusque dans son architecture entièrement refondue et dont Esquirol a pensé tous les grands principes : séparation des hommes et des femmes, répartition des malades sur plusieurs pavillons selon leur pathologie, ateliers, salles de réunion, réfectoire, infirmerie, lieux pour la toilette, construction en rez-de-chaussée afin d'éviter l'utilisation de grilles visant à prévenir les suicides, disposition agréable avec une vue sur la campagne et la Marne, etc.... Le succès de cette structure au service des malades est immédiat, la renommée rapidement internationale et de nombreux autres centres psychiatriques seront bâtis selon les « préceptes esquiroliens »…


Sur le plan législatif, ce réformateur va jouer un rôle important en entérinant ses conceptions dans les faits. En 1818, après avoir fait un véritable tour de France et être allé en Italie et en Belgique notamment, il rédige pour le ministre de l’Intérieur de Louis XVIII un rapport intitulé « Des établissements des aliénés en France et des moyens d'améliorer le sort de ces infortunés ». Ce rapport impitoyable est d’autant plus critique dans un pays qui se targue d’avoir récemment proclamé les Droits de l’Homme. Il suggère d’édifier des centres de santé spécifiquement destinés aux malades mentaux en lieu et place des hospices, dépôts de mendicité et autres maisons de force de l’époque. En outre, il souhaite mettre fin aux décisions d'internement qui permettaient d’admettre les patients sans autorisation spéciale et aucune garantie. Ce travail capital se concrétise sous la forme de la célèbre « Loi des aliénés » promulguée le 30 juin 1838. C’est l’aboutissement de toute une vie de travail et il est temps puisqu’Esquirol n’a plus que deux ans à vivre. Cette loi va notamment obliger chaque département à se doter d'un hôpital psychiatrique (article premier) et régir l'internement des malades mentaux en France pendant plus d’un siècle et demi. Elle est tellement associée à son inspirateur que le terme « esquirolisation » deviendra synonyme d'internement dans le jargon des psychiatres…

Cet humaniste de terrain, profondément pragmatique, à l’esprit ouvert mais aux idées nettes et bien définies, qui s’est « approché de l’aliéné avec douceur et affection », devient célèbre et va profondément influencer les générations suivantes. Ses élèves sont en effet nombreux, parmi lesquels on note Jean-Pierre Falret (1794-1870), Scipion Pinel (1795-1859), Ulysse Trélat (1795-1879), Jean-Etienne Mitivié (1796-1871), François Leuret (1797-1851), Alexandre Brierre de Boismont (1798-1881), Louis Calmeil (1798-1895) , Achille Foville (1799-1878), Jacques-Etienne Belhomme (1800-1880), Jacques Moreau de Tours (1804-1884), Théophile Archambault (1806-1863), Jules Baillarger (1809-1890), Gérard Marchant (1813-1881), dont bon nombre seront également célèbres. Il est au nombre des premiers membres titulaires de l’Académie Royale de Médecine en 1820, admis à l'Académie Royale des Sciences Morales et Politiques en 1834, et décoré de la Légion d’Honneur.


Il s’éteint le 12 décembre 1840, à l’âge de 68 ans, dans sa maison de santé de la rue Buffon, emporté par une affection pulmonaire. Il repose au cimetière du Père-Lachaise. Il a laissé son nom à une multitude de structures psychiatriques, à Limoges et Caen notamment mais surtout à Saint-Maurice dans le Val-de-Marne où il a une superbe statue dans la cour de « son » asile devenu « l'Hôpital Esquirol » en 1973 et aujourd’hui l'un des plus grands établissements psychiatriques de France.