10 septembre 2011

Guillaume DUPUYTREN

Le « Napoléon » de la chirurgie…


Guillaume Dupuytren naît le 5 octobre 1777 à Pierre-Buffière, non loin de Limoges. Son père est un avocat sans fortune mais il y a déjà plusieurs chirurgiens dans la famille. Il est pensionnaire au collège de Magnac-Laval, puis chez les Jésuites à Paris. En 1792, son esprit déjà aventurier le pousse vers le métier des armes en cette période de « patrie en danger » de la France révolutionnaire. Mais son père ne l'entend pas de cette oreille et veut en faire un chirurgien. Il l'inscrit donc comme stagiaire à l'hôpital Saint-Alexis de Limoges et, en 1794, le jeune homme monte à Paris pour poursuivre ses études de médecine. Il va alors s’y consacrer avec ardeur et obstination malgré des conditions difficiles d'extrême pauvreté. Ainsi, il vit dans une mansarde pauvrement meublée, non chauffée, et la légende dira qu’il n’avait pas d’autre choix pour ses chandelles que d’utiliser la graisse des cadavres qu'il disséquait à l’hôpital…


Il est notamment l’élève d’Alexis Boyer (1757-1833), également natif du Limousin, et de Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) à l’hôpital de la Charité. Il se fait vite remarquer par son acharnement au travail. Dès 1795, il obtient le poste de prosecteur à l’École de Santé. Il a tout juste 18 ans, sa volonté est farouche et son ascension au pas de charge ne va pas traîner... En 1801, il devient Chef des travaux anatomiques à l’Ecole pratique de dissection où il succède à Honoré Fragonard (1732-1799), célèbre pour ses Écorchés aujourd’hui conservés dans le musée de l’École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, et par ailleurs cousin germain du fameux peintre Jean-Honoré Fragonard. Le 27 septembre 1803, il soutient sa thèse sur des « Propositions sur quelques points d'anatomie, de physiologie et d'anatomie pathologique ». En 1812, il est nommé Professeur à la Chaire de Médecine Opératoire, puis chirurgien-adjoint de Philippe-Jean Pelletan (1747-1829) et lui succède enfin en 1815 quelques mois après Waterloo. Étienne Pariset (1770-1847) dira que « quand on le vit paraître seul sur les ruines de Pelletan, sur les cendres de Bichat et de Desault, une surprise mêlée d’inquiétude et de défiance s’empara des esprits »… Il devient en effet le Chirurgien en chef du grand service de l’Hôtel-Dieu, va y régner en « monarque absolu » durant vingt ans et dominer sans partage la pratique chirurgicale de la Restauration.


Cet homme d’une grande stature et au regard noir en impose déjà physiquement. En outre, la sûreté d’analyse, la rigueur et le bon sens de cet exceptionnel clinicien fascinent les étudiants. Il est infatigable, sa capacité de travail est considérable et on le surnomme la « Bête de Seine ». Ainsi, ce praticien totalement investi dans son métier ne manque jamais la visite biquotidienne des patients de son service, on dit de lui qu’il voit une dizaine de milliers de malades par an et il consacre plusieurs heures par jour à l'enseignement. De fait, il aura une multitude d’élèves et… va amasser une immense fortune.


Sur le plan de l’anatomie pathologique, il s’inspire des travaux du célèbre anatomiste italien Giovanni Battista Morgagni (1682-1771). Il réalise de nombreuses dissections, réunit une collection impressionnante de pièces pathologiques et publie en 1816 une monographie, son « Essai sur l’anatomie pathologique en général et sur les transformations organiques en particulier », qui synthétise ses travaux et impressionne ses contemporains. Dès 1803, il donne des cours, en collaboration avec Gaspard Bayle (1774-1816) et Théophile René Laënnec (1781-1826), et son talent oratoire lui donne rapidement la réputation d’un enseignant hors pair. Il participe également avec ces derniers à la fondation de la Société anatomique de Paris.


Ce chirurgien audacieux est connu pour sa dextérité, son sang froid à toute épreuve et son extraordinaire maîtrise de soi qui lui permettent de gérer les situations chirurgicales les plus périlleuses avec sérénité, en un temps, ne l’oublions pas, où l’anesthésie est rudimentaire, la douleur pour ainsi dire sans remède, l’asepsie et l’antisepsie inexistantes. Il décrit la sclérose de l’aponévrose palmaire moyenne, maladie qui gardera son nom, et en propose le geste curateur dans son article princeps « De la rétraction des doigts par suite d’une affection de l’aponévrose plantaire, opération chirurgicale qui convient dans ce cas » publié en 1831. Il s’intéresse à la fracture bimalléolaire qui portera également son nom. Il aurait réalisé une thyroïdectomie dont les suites ont été certes catastrophiques puisque le patient serait décédé d’un choc hémorragique. Mais il est capable de désarticuler une épaule en quelques secondes. Il est le premier à réséquer un cancer de la mandibule et un cancer du col de l’utérus avec des suites moins… houleuses. Il réussit également une multitude de gestes aussi divers qu’une colostomie, la ligature de l’artère sous-clavière, l’ablation de polypes des fosses nasales, il opère des cataractes, des hernies inguinales, il propose la myotomie du sterno-mastoïdien pour traiter le torticolis, etc... Il met au point un entérotome, lequel instrument sera utilisé par exemple par Astley Cooper (1768-1841). En 1832, il publie ses « Leçons orales de clinique chirurgicale » qui brossent un tableau précieux du panorama chirurgical de l'époque.


En 1825, il entre à l’Académie des Sciences et est nommé à l'Institut de France. Il est un des premiers membres de l'Académie Royale de Médecine à sa création en 1820 par Louis XVIII. Dans la nuit tragique du 13 au 14 février 1820, il tente en vain de sauver le Duc de Berry, second fils du comte d'Artois, qui vient d’être poignardé par Louvel sur les marches de l’Opéra. En récompense de ses services, Louis XVIII lui octroie le titre de Baron, le promeut Officier de la Légion d’Honneur et en fait son premier chirurgien. Il sera également le premier chirurgien de Charles X. Pour autant, lors des émeutes des « Trois Glorieuses » de juillet 1830 qui verront la montée au pouvoir de Louis-Philippe d’Orléans, il dira : « je ne connais pas d’insurgés dans mes salles, je n’y vois que des blessés dont je suis seul responsable »…


Les succès de ce personnage talentueux, adroit et énergique suscitent naturellement rivalités et jalousies, d’autant plus qu’il est inflexible, perfectionniste à l’extrême et ne fait rien pour atténuer son évidente supériorité. Ainsi, il dit que « rien n’est plus à redouter pour une homme que la médiocrité » et ajoute : « je me suis trompé, mais je me suis trompé moins que les autres »... En outre, cet homme ambitieux, probablement avide d’argent, de notoriété et d’honneurs, a un caractère ombrageux et il est orgueilleux, autoritaire, despotique, jaloux peut-être, préférant être craint plutôt qu’aimé. De fait, sa personnalité entière et dominatrice laisse peu de place à la concurrence. A la mort de Xavier Bichat (1771-1802), il aurait dit « enfin, je respire… » et on le soupçonnera d’avoir essayé de s'approprier ses travaux scientifiques. De même, il aurait tenté de s’attribuer une classification des lésions anatomiques présentée à la Société de l'Ecole de Médecine par Laënnec en 1804. Il explique à Jean-Nicolas Marjolin (1780-1850) : « vous êtes là pour me remplacer en cas d’absence ou de maladie, mais sachez que je ne suis jamais absent et jamais malade ». Il a également des démêlés avec ses maîtres Corvisart et Boyer, Pelletan, Antoine Dubois (1756-1837), Alfred Velpeau (1795–1867)… De fait, même si ses détracteurs lui reconnaissent ses qualités professionnelles, sa réputation en pâtit. Pierre-François Percy (1754-1825) dit ainsi qu’il est « le premier des chirurgiens, le dernier des hommes ». Anthelme Richerand (1779-1840) le décrit comme un « homme au cœur de glace (…) mentant comme on respire et cachant ses erreurs ». Jacques Lisfranc (1790-1847), son collègue de La Pitié, le surnomme le « brigand de l’Hôtel-Dieu ». Et Joseph-François Malgaigne (1806-1865) écrira que « on ne peut prétendre à la gloire quand on n'a visé que la célébrité »…


Ce chirurgien, un des plus illustres de l’histoire de la médecine française, meurt des suites d’un accident vasculaire cérébral à Paris le 8 février 1835, à l’âge de 57 ans, en tenant la main de sa fille Adeline. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Il inspirera le Docteur Desplein de la Comédie humaine d'Honoré de Balzac. Jean Cruveilhier (1791-1874), son élève et compatriote limousin, parlant de ce « généreux soldat de la science et de l’humanité », dira que « personne n’a mené une vie plus laborieuse, plus austère, plus rigoureusement dominée par les devoirs, plus étrangère à ce qu’on appelle plaisirs ». Et son action magistrale a donné une puissante impulsion à l'École Chirurgicale Française qui en gardera longtemps un éclat inégalé. Par ailleurs, une partie de sa fortune sera consacrée à la création d’un musée d’anatomie pathologique. Ce musée Dupuytren, inauguré le 1er novembre 1835, initialement installé dans un vestige du couvent des Cordeliers, se trouve aujourd’hui au 15-21 rue de l’Ecole de médecine à Paris ; il est méconnu par manque de moyens mais ses impressionnantes collections sont incontournables pour qui s’intéresse à l’histoire de la médecine. Dupuytren laissera également son nom au CHU de Limoges, inauguré en 1977 au moment du bicentenaire de sa naissance. Sa statue de Pierre-Buffière a été, comme tant d’autres, déboulonnée et fondue par les allemands en 39-45 mais il reste celle de la cour de l’Hôtel-Dieu à Paris.