29 octobre 2006

Théophile René LAËNNEC

L’inventeur de l’auscultation…


Il naît à Quimper le 17 février 1781, dans les dernières années de l’Ancien Régime. Orphelin de mère, il est élevé par son oncle, médecin à Nantes, pour lequel le garçon aura une grande admiration. Il est d'abord éduqué au collège de Nantes mais la guillotine installée sur la place du Bouffai décide la famille à déménager. Il commence sa médecine en 1795 et s'installe à Paris, en 1801, pour y poursuivre ses études sous la direction de Jean Nicolas Corvisart au prestigieux hôpital de la Charité. Il suit également les cours de Xavier Bichat. Très tôt, il se caractérise par son esprit curieux et son acharnement au travail. En 1802, il publie déjà un mémoire sur le rétrécissement mitral, un autre sur les maladies vénériennes et un troisième sur la péritonite. En 1803, il découvre la lésion fondamentale de la tuberculose, le tuberculome, en collaboration avec son ami Gaspard Laurent Bayle. Puis, il ouvre un cours d'anatomie pathologique qui est très suivi. En 1804, il lit une note sur la classification des lésions anatomiques à la Société de l'Ecole de Médecine mais Guillaume Dupuytren, son aîné, veut s'en attribuer l'idée si bien qu’il en naîtra une regrettable polémique entre les deux hommes. La même année, il est nommé Docteur en Médecine. Il connaît un grand succès, devient peu à peu un des médecins les plus recherchés et soigne des personnalités comme Chateaubriand, le Cardinal Fesch ou la Duchesse de Berry.


En 1816, il est nommé Médecin-chef à l'hôpital Necker. Il s'intéresse aux maladies pulmonaires mais personne n’imagine que ce jeune provincial va bientôt découvrir le procédé de l'auscultation médiate, c'est à dire par l'intermédiaire d'un instrument, par opposition à l' auscultation immédiate où l'oreille est appliquée directement sur la poitrine du patient. Cet instrument est initialement un simple rouleau de papier ficelé, le « pectoriloque », qu'il ne tarde pas à perfectionner en un stéthoscope. Un pas immense vient d'être franchi car on ne se contente plus « d’observer » les malades, on les examine et les cliniciens pour la première fois apprennent à se servir de leur oreille. Mieux, Laënnec analyse et consigne avec soin tout ce qu'il entend, puis relie les bruits corporels internes à des lésions anatomiques constatées par autopsie. En bref, il applique à la lettre la méthode anatomo-clinique. De ce travail de titan, il publie en 1819 le « Traité de l’auscultation médiate », véritable acte de naissance de la pneumologie. Ce prodigieux chef-d’œuvre, indûment raillé par François Broussais, ouvre le chemin de la médecine moderne et sera une référence essentielle jusqu’à l’avènement de la radiologie. En le lisant, on y retrouve, parfois sans aucune modification, les cours de sémiologie tels qu'ils sont présentées de nos jours aux étudiants en médecine. Mais, Laënnec est aussi le premier à individualiser la cirrhose du foie à laquelle il laissera son nom. Il se trompe sur l'interprétation des bruits du coeur et des souffles mais, avec le stéthoscope, il donne à la cardiologie l'instrument de son essor.


De santé fragile, il se retire en 1820 dans la maison familiale, en Bretagne, pour quelques mois. De retour à Paris en 1822, il est titulaire de la Chaire de Médecine Pratique du Collège de France et y fait sa première leçon. En 1823, il prend la succession de Corvisart à l’hôpital de la Charité et est nommé Professeur à la Faculté de Médecine. Il devient également membre de l'Académie Royale de Médecine. Il vit comblé de reconnaissance et d'honneurs par ses élèves, ses confrères ou des amis comme Madame de Staël (la fille de Necker), mais est malade. Et il connaît son mal : il s’agit de la tuberculose qu'il a si admirablement étudiée.


Il meurt le 13 août 1826, dans le manoir familial de Kerlouarnec en Ploaré, à l’âge de 45 ans. Dans son testament, on peut lire ce qu'il léguait à un ami : « Je lui donne ma montre, mes breloques, ma bague. Je lui donne aussi mon stéthoscope, la meilleure partie de ma succession ». Il est inhumé au cimetière de Ploaré-Douarnenez. Il a sa statue à Quimper. En 1879, l'hospice des Incurables, situé rue de Sèvres, prendra le nom d'hôpital Laënnec ; ce sera alors la première fois en France qu'un hôpital recevra le nom d'un médecin. D’après Jean Bernard, « il aura été le pionnier de cette grande transformation de la médecine passant, en moins de deux siècles, de l'état d'art approximatif à celui de science souvent exacte ».

Claude BERNARD

Le premier physiologiste expérimental…


Il naît à Saint-Julien dans le Beaujolais le 12 juillet 1813. Fils de vigneron, il apprend à lire et à écrire avec le curé du village, puis entre aux collèges de Villefranche-sur-Saône et de Thoissey dans l'Ain. Contraint de gagner sa vie, il prend un emploi de préparateur dans une pharmacie des faubourgs de Lyon. Peu passionné par ce gagne-pain, il rêve d’une carrière littéraire. Il prend alors la diligence pour Paris. Il est muni d’une recommandation pour Saint-Marc Girardin, professeur de littérature à la Sorbonne et célèbre critique de l'époque. Malheureusement (ou heureusement…), ses œuvres théâtrales n’obtiennent pas le succès escompté et, sur le conseil de Girardin, il s'inscrit à la Faculté de Médecine de Paris : « Vous avez fait de la pharmacie, faites de la Médecine et gardez la littérature pour les heures de loisir »…

Qu’à ne cela ne tienne, Claude Bernard est nommé Externe des Hôpitaux de Paris, puis Interne en 1839. Cependant, après avoir obtenu son diplôme de Docteur en Médecine en 1843, il connaît un début de carrière difficile. En 1844, il échoue en effet à l’agrégation de médecine. Il ouvre ensuite un laboratoire rue Saint-Jacques mais le projet avorte par manque d'argent. Il est découragé mais François Magendie remarque ses compétences et lui propose un poste dans son laboratoire. Claude Bernard entre donc à l’Hôtel-Dieu dans le service du célèbre physiologiste, et va devenir son éminent disciple et digne successeur.


Il devient ainsi son préparateur au Collège de France puis, en 1847, est nommé suppléant de Magendie au sein de l’institution. Il se détourne alors de plus en plus de ses activités à l’hôpital au profit du laboratoire, se consacrant essentiellement à la recherche. Il pose les principes de la médecine expérimentale : « observation, hypothèse, confirmation ou infirmation ». Sa méthodologie novatrice est féconde. Elle lui permet de faire progresser la physiologie et ses nombreuses découvertes dans le domaine de la physiologie générale restent pour la plupart définitives. Il montre que la vie des êtres vivants est le résultat de la vie de leurs éléments anatomiques et il démontre en particulier le rôle du sang comme régulateur de toutes ces vies individuelles, véritable milieu intérieur au sein duquel vivent les cellules de l'organisme. Il se fait connaître par ses observations sur des sujets aussi divers que le suc gastrique, la fonction glycogénique du foie, le rôle du pancréas, la vaso-motricité, la toxicité du curare, etc… Ses nombreuses publications donnent à la physiologie expérimentale un essor prodigieux. Sa célèbre « Introduction à l'étude de la Médecine expérimentale », publiée en 1865, consigne l’essentiel de sa pensée et connaît un immense succès. Louis Pasteur écrit : « Oh ! la bienfaisante lecture que cette des travaux des inventeurs de génie ! ». Henri Bergson dira : « Cet ouvrage est pour nous ce que fut pour le XVIIème siècle le Discours de la Méthode ».


Les honneurs ne tardent pas à affluer. Il est admis à l’Académie des Sciences, à l'Académie de Médecine et même… à l'Académie Française. Il est nommé Professeur de physiologie expérimentale à la Sorbonne en 1852, à la Faculté des Sciences de Paris en 1854, au Collège de France où il succède à son maître Magendie en 1855, et au Muséum d'Histoire Naturelle en 1868. Son activité sans relâche fait du Collège de France un des hauts lieux scientifiques du Second Empire. A l’occasion de la seconde Exposition Universelle de Paris en avril 1867, le ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, lui commande un « Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France ». Napoléon III le fait Commandeur de la Légion d'honneur. Il devient également Sénateur par décret impérial en 1869.

Il meurt le 10 février 1878, à l’âge de 64 ans, en s’excusant : « c’est dommage, pendant le dernier été, j’avais très bien travaillé à de belles choses »… Cet inlassable expérimentateur laisse alors une œuvre immense, digne des plus grands savants que la France ait connus, préparant ainsi l'avènement de Pasteur. La Troisième République, à l’initiative de Léon Gambetta, lui offre des funérailles nationales. C’est la première fois qu'un scientifique français reçoit un tel honneur. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Il a sa statue devant le Collège de France et dans la cour d’honneur de l’Université lyonnaise qui porte son nom. Il a dit : « les hommes disparaissent, la méthode reste ».

Charles NICOLLE

Le pastorien méconnu de Tunis…


Il naît à Rouen le 21 septembre 1866, sous le Second Empire, dans une famille aisée. Son père est médecin dans la capitale normande et enseigne l'histoire naturelle à l’École Supérieure des Arts. Il a deux frères dont l’aîné, Maurice, deviendra également médecin, microbiologiste réputé, Professeur à l’Institut Pasteur de Paris, puis Directeur de l’Institut du même nom à Istanbul. Charles fait ses études secondaires au lycée Corneille de Rouen.

Renonçant à des ambitions littéraires, il s’inscrit en médecine en 1884, dans l’intention de succéder à son père, et poursuit son cursus à Paris. Il y est nommé à l’Internat des Hôpitaux en 1889. Il est admis comme préparateur du cours d'anatomie pathologique de la Faculté, puis entre à l'Institut Pasteur. Il y croise le vieux « Maître » (Louis Pasteur s’éteindra en 1895) et Émile Roux lui enseigne que « la vérité est plus riche encore et plus belle que toutes les fables ». Il soutient sa thèse de Doctorat sur le chancre mou en 1893. De retour à Rouen, il est nommé Professeur des Chaires de Pathologie et de Clinique Médicale à l'École de Médecine, et devient Médecin des Hôpitaux en 1894. Il se marie en 1895 et a deux enfants qui seront tous deux médecins. Atteint de surdité, il s’oriente vers la recherche en laboratoire et plus précisément en microbiologie. Il prend ainsi la direction du laboratoire de bactériologie de l'Ecole de médecine de Rouen de 1894 à 1902. Cet inlassable chercheur parvient à inoculer la syphilis à des singes, diffuse le diagnostic bactériologique de la diphtérie dès sa mise au point par Fernand Widal, se lance dans la préparation du sérum anti-diphtérique qui vient d’être découvert par Émile Roux, participe très activement à la campagne contre la tuberculose et crée le premier sanatorium de la région rouennaise à Oissel. Il lutte également contre les maladies vénériennes. Toutefois, il échoue dans la création d’un centre d'enseignement de microbiologie et de recherches médicales à l'exemple de l'Institut Pasteur de Paris, et se heurte à l’hostilité jalouse et rétrograde de l’Administration des Hospices de Rouen. C’est alors que s’offre le poste vacant de la direction de l’Institut Pasteur de Tunis…


Ce savant enthousiaste, rigoureux et déterminé débarque donc en Afrique du Nord le 23 décembre 1902. C’est une date décisive de sa vie. Dans un monde médical bouleversé par la révolution pastorienne, il donne alors la pleine mesure de ses capacités en contribuant à la compréhension d’un pan entier de l’infectiologie et en menant de front une énorme tâche d'administrateur, de chercheur, de chef d'école, de militant de l'éducation sanitaire et de la prévention des maladies infectieuses. Pour commencer, il obtient que l’Institut, trop vétuste, soit reconstruit et mieux pourvu en équipements. Ensuite, il travaille entre autres sur la leishmaniose, la rickettsiose, le trachome, la brucellose, le paludisme… Il démontre que l'agent de la grippe est un virus filtrant qu’il dénomme « inframicrobe ». En 1908, il découvre le toxoplasme dans le sang du gondi qui est un petit rongeur du Sud tunisien. En 1909, il démontre le rôle du pou dans la transmission du typhus exanthématique. Il en déduit aussitôt les mesures prophylactiques adéquates dont l’application permet alors d’éradiquer de Tunis ce redoutable fléau épidémique et épargnera la vie de nombreux soldats des tranchées de la Grande Guerre. En un temps où les maladies se caractérisent entièrement par leurs symptômes, il comprend qu’un porteur asymptomatique peut être à l’origine d’une épidémie et développe ainsi le concept nouveau d’infection « inapparente ». Son enthousiasme, sa curiosité d'esprit, sa puissance de travail, ses capacités d’organisation, ta ténacité, son extraordinaire volonté de réussite font de l’Institut Pasteur de Tunis un centre de réputation mondiale où se forme une pléiade de savants.



Charles Nicolle reçoit le prix Osiris de l'Institut de France en 1927, et surtout, l’année suivante, le prix Nobel de Médecine pour ses travaux sur le typhus. Puis, il est nommé à l'Académie de Médecine, à l’Académie des Sciences et au Collège de France dans la chaire qu’avait occupée Claude Bernard. En 1934, il devient membre du Conseil scientifique de l'Institut Pasteur crée à la suite des décès d’Albert Calmette et d’Émile Roux. Il écrit naturellement plusieurs ouvrages médicaux mais, érudit et imaginatif, il écrit aussi pour son plaisir. Il publie ainsi quelques romans et nouvelles. Du reste, il se lie d’amitié avec l’écrivain Georges Duhamel, futur Académicien et également médecin.

Il meurt le 28 février 1936, à l’âge de 69 ans. Georges Duhamel dira : « Il mérite une grande gloire. Sa modestie seule l’a conduit à rechercher le silence ». Charles Nicolle a toujours été partagé entre son pays d’adoption et sa ville natale. Il l’est toujours, il repose en effet à Tunis dans l’Institut dont il fût l’âme admirable pendant trente-trois ans et l’Hôpital Général de Rouen porte son nom depuis 1953. Et sur sa tombe s’entrelacent un rameau d’olivier et une branche de pommier.